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[Avis] Rien ne nous survivra, sous-titré Le pire est avenir
(trop ancien pour répondre)
Nicolas Delsaux
2011-12-25 17:01:40 UTC
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Rien ne nous survivra : Le pire est avenir by Maïa Mazaurette

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5 0% 0 <== je vais être là
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Mass Market Paperback, 371 pages
Published September 1st 2011 by Editions Gallimard (first published
2009)
ISBN 2070438198 (ISBN13: 9782070438198) .

Vous pensez que ce livre parle d'une apocalypse ? C'est vrai, mais pas
que.
Vous pensez que ce livre parle de Paris ? C'est vrai, mais pas que.
Vous pensez que ce livre parle de snipers ? C'est vrai, mais pas que.
Vous pensez que ce livre parle de la querelle des anciens et des
modernes ? C'est vrai, mais d'une manière hyperbolique.
Vous pensez que ce livre parle de la fin de l'innocence ? OUI, c'est
vrai, MAIS PAS QUE.
Vous pensez que ce livre est drôle, joyeux, rigolo comme son auteure ?
C'est faux. C'est complètement faux. C'est tragiquement faux. C'est
totallement faux.
Vous l'aurez compris, ce livre évoque, dans une ville de Paris en
proie à une authentique guerre générationelle opposant jeunes et
vieux, le destin croisé ... ou plutôt fusionné ... de deux snipers
connus uniquement par leurs pseudos : Silence et l'Immortel. Et si le
bouquin commence comme une course au level-up entre ces deux super
snipers, différentes circonstances de vie vont les forcer pour notre
plaisir à se rapprocher dans une étrange danse mélant amour et haine.
Par contre, si vous continuez plus loin dans cet avis, attendez-vous à
des spoilers pas piqués des hannetons.
Je disais donc que ce roman nous raconte comment ces deux snipers,
êtres solitaires par nature, en viennent à se rapprocher l'un de
l'autre. Et bien sûr, tout cela n'est pas simple pour le lecteur.
D'abord à cause de la forme du récit. En effet, mis à part les tracts
révolutionnaires, celui-ci est exclusivement vu des yeux des deux
protagonnistes, qui sont évidement sacrément égoïstes, et ne voient
donc dans le reste du monde que le décor de leurs actes, sans jamais
tenter d'imaginer leurs réactions, mis à part lors de dialogues qui
révèlent bien la vacuité de la jeunesse, ce que je trouve d'ailleurs
très habilement joué. Je m'explique. Là où tant d'autres auteurs
auraient multiplié les points de vue, en ajoutant à nos deux snipers
un ou deux vieux (dont sans doute cette fameuse Anna-Lyse), et peut-
être même un soldat des forces de maintien de la paix, Maïa Mazaurette
choisit de faire de ce roman un huis-clos avec supplément de gravats
en les enfermant dans une rive gauche de paris réduite aux ruines. Et
la seule chose qui nous sort de la tête de ces deux sinpers, ce sont
ces fameux tracts, que j'ai trouvé fabuleux par leur nihilisme
primaire. Pas de promesses de sable fin sous les pavés ici. Pas non
plus de civilisation rectifiée. Non. Rien que la mort. La mort pour
les vieux trentenaires. La mort pour les femmes enceintes. La mort
pour tous les immondes profiteurs de jeunesse. Et enfin, la mort pour
les jeunes quand l'ultimatum des forces de l'ONU expirera. C'est pas
du tout joyeux, mais je trouve que ca cadre formidablement avec le
paysage de dévastation que l'auteure installe dans la ville musée
(quoi ? On ne peut donc pas dire ça d'une ville qui n'existe quasiment
que par son patrimoine ?). Donc, en n'étant confronté qu'à la réalité
obscène et débilitante de ces jeunes possédés affectivement,
économiquement, politiquement, socialement, forcément, au bou d'un
moment, même moi, vieux lecteur de bientôt 40, je me retrouve à avoir
envie de péter les rotules de tous ces croulants d'au moins 40 ans qui
se mettent entre moi et ma vie. Surtout quand, effectivement, le jeune
est utilisé comme image de perfection partout : sur les affiches, dans
les pubs, dans les films, dans la musique. C'est toujours l'apparence
de la jeunesse qui nous est présentée. Son apparence, même si, comme
le dit l'un des tracts les plus marquants pour moi, il y a toujours un
vieux dans l'ombre qui profite du jeune en lui laissant juste de quoi
se pourir la santé pour exister aux yeux de ce vieux.
A côté de la dimension fondamentalement universelle de cette révolte
des jeunes contre les vieux, un autre aspect de ce roman est
particulièrement capitvant : c'est l'idolatrie que semble développer
l'Immortel pour Silence. Une idolatrie fondée sur ... quoi ? Une peine
de coeur un peu dure à assumer dans ce Paris condamné ? Une envie
d'exister, même par opposition ? En tout cas, c'en est assez pour que
l'Immortel devienne Silence, et rende donc le récit plus délicat à
suivre pour les lecteurs les moins ... subtils ? (en écrivant ça, je
pense à une critique lue sur le web où l'auteur explique que l'auteure
est incapable de distinguer ses personnages. C'est normal, abruti,
puisqu'elle veut précisément nous montrer que l'un cherche à pénétrer
l'autre, de la seule manière qui compte : l'esprit). Cet aspect du
roman semble plus anecdotique à priori. Pourtant ... pourtant ... Il
me semble que dans le twist (comme disent nos amis anglophones) final,
c'est justement parce que ce phénomène de dépersonnalisation est
arrivé à son terme que le lecteur (moi en l'occurence), se demande si
c'est réellement Silence qui est dans l'hélico.
Cela dit, soyons honnêtes.
Fallait-il détruire Paris pour en arriver là ?
Fallait-il opposer le fils à son père, la fille à son père ?
Clairement, oui.
En effet, je ne pense pas que l'auteure ait écrit ça parce qu'elle
voulait nous dégoûter, ni parce qu'elle voulait nous épater. Je pense
plutôt qu'elle a écrit cette histoire abjecte de trahison, de mort et
de déshonneur parce que, comme Catherine Dufour quand elle a écrit Le
goût de l'immortalité, elle a écrit cette histoire parce qu'elle le
devait. Au début, ça m'a surpris d'imaginer que l'auteure pétillante
de sexactu, le blog le plus léger du monde, puisse commettre une
histoire aussi apocalyptique. Et puis je me suis souvenu de certains
messages de son blog, et j'ai compris qu'effectivement, elle devait
écrire cette oeuvre sombre, qui parle au jeune en moi (comme elle a
parlé aux lycéens qui, semblent-ils, l'étudient attentivement pour
nous préparer une vie d'enfer quand la crise nous touchera et qu'on
bouffera du chien accomodé aux restes d'enfants).
Alors du cup, je ne vais pas vraiment vous enjoindre à lire comme je
peux le faire d'habitude. Parce que, si le jeune en moi a adoré, le
père de famille a imaginé mon fils m'explosant la tronche à coups de
clef à molette pendant que ma fille fracaissait le crâne de ma femme
d'un jeté e de marteau. Et ça, c'est une vison presqu'aussi
terrifiante que le contenu de ce roman.
D'un autre côté, c'est le genre de lecture qui ne dit rien d'autre que
"toi vieux, souviens-toi du jeune en toi". Et pour ça, elle mérite
d'être lue.

PS : Finir ce roman le jour de Noël, c'est d'une ironie qui me ferait
presque croire en le gros bonhomme habillé en rouge.
Xavier
2011-12-25 20:47:40 UTC
Permalink
Post by Nicolas Delsaux
Rien ne nous survivra : Le pire est avenir by Maïa Mazaurette
Merci de cet avis qui donne comme d'habitude, une envie irrépréssible de
lire le bouquin.

Je me demande juste si, quinqua à la recherche de ma jeunesse perdue, ou
au moins des souvenirs de celle-ci, qui sont hélas perdus eux aussi,
(trop de...), ce roman tel que tu le présentes serait une bonne chose à
lire pour moi...

Peut-être prendrai-je le risque. Un peu plus tard. Merci Nicolas.
--
XAv
In your pomp and all your glory you're a poorer man than me,
as you lick the boots of death born out of fear.
(Jethro Tull)
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