Discussion:
[Avis] Hugh Howey - Silo (trilogie)
(trop ancien pour répondre)
Yves Potin
2015-10-05 08:16:09 UTC
Permalink
Hugh Howey – Silo (2011 - 2013)

Percevoir la réalité au travers d'un écran est une réalité récemment
devenue quotidienne pour une large part de l'humanité, toute la
difficulté étant de percevoir le degré d'enfermement que cela implique et
les modes par lesquels cet enfermement peut être justifié, voire
dissimulé. Philip K. Dick a traité ce thème dans son roman La vérité
avant dernière (1964), dont le double enjeu est l'enfermement de
l'humanité entière dans une dystopie souterraine concentrationnaire et le
maintien d'un tel enfermement par le mensonge médiatique orchestré et
entretenu par la rare part de l'humanité qui demeure hors de ces cavernes
d'acier et passe sa vie a entretenir ce mensonge : « continuez à
travailler pour soutenir l'effort de guerre, le sort de l'humanité et de
notre civilisation dépend de votre travail même si le monde extérieur,
totalement irradié, n'est plus viable ». Contrairement à d'autres textes
de Dick, les clefs du mensonge comme de la réalité nous sont données
assez rapidement dans un récit dont l'enjeu est plus politique que
métaphysique.

Hugh Howey reprend ces thèmes dans une trilogie remarquable, Silo, dont
les trois tomes s'enchaînent et doivent être lus à la suite. On retrouve
les éléments de l'univers concentrationnaire, de la contre utopie, tels
que de nombreux romans du XX° siècle semblent ne les avoir pourtant pas
épuisés tant on prend plaisir à découvrir cet univers sombre, cette
humanité enfermée et confinée qui ne sait même plus ce qu'est marcher
droit devant soi en ligne droite à cause d'un univers circulaire dont les
stratifications sociales se parcourent au moyen d'interminables escaliers
qui relient les divers niveaux du silo, qui sont les niveaux de la
société. Bien sûr, les hommes ont intériorisé les raisons de leur
enfermement comme la chape de plomb de la domination tyrannique qui pèse
sur eux, et le caractère radical de la punition qui attend tout esprit
subversif : être condamné à sortir ! Voir ce qu'il y a derrière l'écran
géant qui montre un monde mort, désolé, irradié, alors que nul n'a plus
conscience des causes qui ont détruit le monde dont on ne se représente
même plus clairement la véritable nature ; univers dans lequel les hommes
ont perdu toute représentation claire de ce que sont les étoiles et même
le ciel, comme le passé et l'histoire dont tout souvenir est mortel pour
la société. Le condamné à mort, à l'exclusion sans retour, aura pour
tâche de nettoyer cet écran, ce que les machines du silo ne peuvent
faire. L'aliénation est telle que chaque condamné le fera de bonne grâce
avant de profiter de ses quelques instants de vie dehors, à la découverte
d'une vérité qu'il pense très différente de ce qu'on lui a toujours
enseigné.

Pourquoi le monde est-il inhabitable ? L'est-il vraiment ? Qu'y a-t-il
dehors ? Quelles sont les strates de mensonge empilées derrière l'écran
et surtout dans les consciences des acteurs de la dystopie, de ceux qui
doivent bien, quelque part, tirer les ficelles du monde ? Le redoublement
de ces mensonges constitue le cœur de l'intrigue de ces trois romans, des
tromperies monstrueuses reviennent chaque fois que l'on pense avoir les
clefs de cet univers et de ce qui a bien pu se produire pour qu'il ne
reste que ce petit échantillon d'humanité enfermé dans ce minuscule sous
sol cylindrique qui devient le monde de générations qui s'enchaînent,
dans la quête invisible d'une société qui arrive à fonctionner, malgré
tout.

Contrairement à d'autres romans dystopiques où l'on s'attend à découvrir
le parcours d'un seul personnage principal qui soulève le voile des
mensonges à la racine du totalitarisme dont le discours fait totalement
écran devant le monde, la vie, la terre, le ciel, l'herbe, les oiseaux,
Silo nous montre encore plus que le double parcours de la victime comme
du maître à travers cet écheveau de voiles de fumées toxiques dont on se
protège avec un énorme jet d'azote purifiant avant de sortir, en
combinaison protectrice méticuleusement fabriquée dans les ateliers
souterrains. Tout et tous sont enfermés dans le mensonge et l'aliénation
comme le programme de son maintien et de sa maintenance, même ceux qui
ont tout organisé dans un contexte politique qui, pas plus que celui du
roman de Philip K. Dick, n'a la moindre importance après une telle durée
d'enfermement qui est peut-être elle même mensongère.

Qu'y a-t-il derrière nos écrans et le monde qu'ils nous donnent à voir,
dans la précision et l'accumulation d'informations aux multiples sources
concernant une réalité à laquelle nous n'avons pas accès dans notre
quotidien ? La trilogie de Hugh Howey constitue une métaphore magistrale
et passionnante du tissu impalpable mais bien solide de mensonges qui
s'est mis à la place de notre rapport authentique au monde, et qui a pour
nom l'idéologie invisible.
Yliur
2015-10-05 08:56:32 UTC
Permalink
Le Mon, 05 Oct 2015 03:16:09 -0500
Post by Yves Potin
Hugh Howey – Silo (2011 - 2013)
Percevoir la réalité au travers d'un écran est une réalité récemment
devenue quotidienne pour une large part de l'humanité, toute la
difficulté étant de percevoir le degré d'enfermement que cela
implique et les modes par lesquels cet enfermement peut être
justifié, voire dissimulé. Philip K. Dick a traité ce thème dans son
roman La vérité avant dernière (1964), dont le double enjeu est
l'enfermement de l'humanité entière dans une dystopie souterraine
concentrationnaire et le maintien d'un tel enfermement par le
mensonge médiatique orchestré et entretenu par la rare part de
l'humanité qui demeure hors de ces cavernes d'acier et passe sa vie a
entretenir ce mensonge : « continuez à travailler pour soutenir
l'effort de guerre, le sort de l'humanité et de notre civilisation
dépend de votre travail même si le monde extérieur, totalement
irradié, n'est plus viable ». Contrairement à d'autres textes de
Dick, les clefs du mensonge comme de la réalité nous sont données
assez rapidement dans un récit dont l'enjeu est plus politique que
métaphysique.
Hugh Howey reprend ces thèmes dans une trilogie remarquable, Silo,
dont les trois tomes s'enchaînent et doivent être lus à la suite. On
retrouve les éléments de l'univers concentrationnaire, de la contre
utopie, tels que de nombreux romans du XX° siècle semblent ne les
avoir pourtant pas épuisés tant on prend plaisir à découvrir cet
univers sombre, cette humanité enfermée et confinée qui ne sait même
plus ce qu'est marcher droit devant soi en ligne droite à cause d'un
univers circulaire dont les stratifications sociales se parcourent au
moyen d'interminables escaliers qui relient les divers niveaux du
silo, qui sont les niveaux de la société. Bien sûr, les hommes ont
intériorisé les raisons de leur enfermement comme la chape de plomb
de la domination tyrannique qui pèse sur eux, et le caractère radical
de la punition qui attend tout esprit subversif : être condamné à
sortir ! Voir ce qu'il y a derrière l'écran géant qui montre un monde
mort, désolé, irradié, alors que nul n'a plus conscience des causes
qui ont détruit le monde dont on ne se représente même plus
clairement la véritable nature ; univers dans lequel les hommes ont
perdu toute représentation claire de ce que sont les étoiles et même
le ciel, comme le passé et l'histoire dont tout souvenir est mortel
pour la société. Le condamné à mort, à l'exclusion sans retour, aura
pour tâche de nettoyer cet écran, ce que les machines du silo ne
peuvent faire. L'aliénation est telle que chaque condamné le fera de
bonne grâce avant de profiter de ses quelques instants de vie dehors,
à la découverte d'une vérité qu'il pense très différente de ce qu'on
lui a toujours enseigné.
Pourquoi le monde est-il inhabitable ? L'est-il vraiment ? Qu'y
a-t-il dehors ? Quelles sont les strates de mensonge empilées
derrière l'écran et surtout dans les consciences des acteurs de la
dystopie, de ceux qui doivent bien, quelque part, tirer les ficelles
du monde ? Le redoublement de ces mensonges constitue le cœur de
l'intrigue de ces trois romans, des tromperies monstrueuses
reviennent chaque fois que l'on pense avoir les clefs de cet univers
et de ce qui a bien pu se produire pour qu'il ne reste que ce petit
échantillon d'humanité enfermé dans ce minuscule sous sol cylindrique
qui devient le monde de générations qui s'enchaînent, dans la quête
invisible d'une société qui arrive à fonctionner, malgré tout.
Contrairement à d'autres romans dystopiques où l'on s'attend à
découvrir le parcours d'un seul personnage principal qui soulève le
voile des mensonges à la racine du totalitarisme dont le discours
fait totalement écran devant le monde, la vie, la terre, le ciel,
l'herbe, les oiseaux, Silo nous montre encore plus que le double
parcours de la victime comme du maître à travers cet écheveau de
voiles de fumées toxiques dont on se protège avec un énorme jet
d'azote purifiant avant de sortir, en combinaison protectrice
méticuleusement fabriquée dans les ateliers souterrains. Tout et tous
sont enfermés dans le mensonge et l'aliénation comme le programme de
son maintien et de sa maintenance, même ceux qui ont tout organisé
dans un contexte politique qui, pas plus que celui du roman de Philip
K. Dick, n'a la moindre importance après une telle durée
d'enfermement qui est peut-être elle même mensongère.
Qu'y a-t-il derrière nos écrans et le monde qu'ils nous donnent à
voir, dans la précision et l'accumulation d'informations aux
multiples sources concernant une réalité à laquelle nous n'avons pas
accès dans notre quotidien ? La trilogie de Hugh Howey constitue une
métaphore magistrale et passionnante du tissu impalpable mais bien
solide de mensonges qui s'est mis à la place de notre rapport
authentique au monde, et qui a pour nom l'idéologie invisible.
Ça a l'air intéressant, merci :) .
Jean-Luc
2015-10-06 21:09:50 UTC
Permalink
Post by Yves Potin
Contrairement à d'autres romans dystopiques où l'on s'attend à découvrir
le parcours d'un seul personnage principal qui soulève le voile des
mensonges à la racine du totalitarisme dont le discours fait totalement
écran devant le monde, la vie, la terre, le ciel, l'herbe, les oiseaux,
Silo nous montre encore plus que le double parcours de la victime comme
du maître à travers cet écheveau de voiles de fumées toxiques dont on se
protège avec un énorme jet d'azote purifiant avant de sortir, en
combinaison protectrice méticuleusement fabriquée dans les ateliers
souterrains. Tout et tous sont enfermés dans le mensonge et l'aliénation
comme le programme de son maintien et de sa maintenance, même ceux qui
ont tout organisé dans un contexte politique qui, pas plus que celui du
roman de Philip K. Dick, n'a la moindre importance après une telle durée
d'enfermement qui est peut-être elle même mensongère.
Ca me rappelle un truc où les révoltés sont en fait sélectionnés pour
diriger la société, mis face à la réalité et l'impossibilité de
changement de paradigme.
--
Jean-Luc Pruvost
Jean-Luc
2015-10-21 13:13:30 UTC
Permalink
Post by Jean-Luc
Post by Yves Potin
Contrairement à d'autres romans dystopiques où l'on s'attend à découvrir
le parcours d'un seul personnage principal qui soulève le voile des
mensonges à la racine du totalitarisme dont le discours fait totalement
écran devant le monde, la vie, la terre, le ciel, l'herbe, les oiseaux,
Silo nous montre encore plus que le double parcours de la victime comme
du maître à travers cet écheveau de voiles de fumées toxiques dont on se
protège avec un énorme jet d'azote purifiant avant de sortir, en
combinaison protectrice méticuleusement fabriquée dans les ateliers
souterrains. Tout et tous sont enfermés dans le mensonge et l'aliénation
comme le programme de son maintien et de sa maintenance, même ceux qui
ont tout organisé dans un contexte politique qui, pas plus que celui du
roman de Philip K. Dick, n'a la moindre importance après une telle durée
d'enfermement qui est peut-être elle même mensongère.
Ca me rappelle un truc où les révoltés sont en fait sélectionnés pour
diriger la société, mis face à la réalité et l'impossibilité de
changement de paradigme.
Ira Levin _Un bonheur insoutenable_
--
Jean-Luc Pruvost
Continuer la lecture sur narkive:
Loading...