Nicolas Delsaux
2011-12-03 17:02:58 UTC
Les falsificateurs by Antoine Bello
rating frequency % #
5 22% 12
4 48% 26 <== dont moi
3 22% 12
2 7% 4
1 0% 0
Paperback, 588 pages
Published May 22nd 2008 by Editions Gallimard (first published
2007)
ISBN 2070355276 (ISBN13: 9782070355273)
edition language French
original title Les falsificateurs
Dans mes "étagères" (pour ceux qui ne conaissent pas Goodreads, c'est
leur version des tags)
art, complot, humanité, inclassable, politique, rayon-policier-noir,
voyage
Parfois, on lit des bouquins sans vraiment savoir pourquoi, mais tout
en étant convaincu d'y trouver une espèce de vérité, alors même que le
roman est par construction un mensonge.
Et cette histoire en est le plus parfait exemple.
Elle nous raconte comme Sliv, jeune islandais à la recherche de son
premier emploi, va refuser une offre dans une conserverie pour entrer
via l'une de ses facades dans le consortium de falsification du réel,
une société secrète dont le but est encore inconnu à cette heure, mais
dont le moyen d'action préféré est la manipulation du réel. Une
manipulation qui passe par la création de faux documents officiels, de
faux témoins, de faux écrits, bref, de faux divers. Et ils ne font pas
ça pour le plaisir. On va y trouver Laïka (la chienne de l'espace),
l'exploitation pétrolière, les débuts de la dérive capitalistique dans
laquelle nous sommes actuellement plongés, mais aussi des faux films,
de faux courants artistiques (ah, cet écrivain minimaliste). Bref, ce
roman raconte comment le réel est faussé. Et comment il est faussé par
Sliv et ses patrons.
Alors évidement, ça ne peut que plaire à tous les démiurges en
culottes courtes : les MJ de toutes les parties de jeux de rôles s'y
retrouvent, comme d'ailleurs les joueurs de #nomic (oui, là, je suis
bi-classé). Et c'est avec une excitation permanente que je voyais Sliv
tenter des falsifications aussi audacieuses que tordues (son oeuvre
sur la Stasi est incroyablement subtile). Qui plus est, l'auteur a
pris soin sur chacun des sujets évoqués de se documenter avec une
précision, une force, une profondeur assez incroyable. Il arrive donc
à évoquer dans le même roman les dérives capitalistes et des
continents, la zoologie et la condition des femmes, ou encore la
conquête spatiale et le communisme. C'est donc un grand jeu
intellectuel dans ce roman que de chercher ce qui est "vrai" et ce qui
est "faux". Bon, on sait bien, vous et moi, que c'est un jeu de
dupes : le réel n'existe pas, pas plus que la vérité. C'est d'ailleurs
ce qui rend ces manipulations aussi innocentes que superfétatoires :
ce qui a été vrai hier sera faux demain, et il n'est pas besoin d'une
société secrète pour en arriver à cette réalité fluctuante. Toutefois,
évidement, le CFR (nos falsificateurs, quoi), ajoute à cette réalité
fluctuante une dose d'art qui lui fait habituellement défaut, et qui
me poussera désormais à traquer le faux artistique dans les journaux
ou dans la wikipedia - qui doit être pour l'auteur un objet
fascinant.
Cependant, ce roman n'est pas exclu de défauts, au premier range
desquels la platitude des personnages, qui s'esquivent
systématiquement dès qu'un tant soi peu de relations humaines
s'instaurent ... Bon, je suis mauvais jouer, c'est évidement le cas
presque uniquement pour les deux personnages principaux, mais les
"seconds rôles", eux, ont droit au bonheur et à une vie affective
épanouie. En revnache, les héros, non, et ce stéréotype du "lonesone
cowboy" comme personnage principal me paraît à la fois douteux et peu
intéressant sur le plan littéraire.
Mais je ne crois pas qu'il s'agisse d'un défaut bien grave. Après
tout, le but de ce roman n'est pas d'être une autobiographie
imaginaire d'un falsificateur fictif (quoique .... peut-être que
l'auteur a juste utilisé un nom de plume et qu'il est Sliv), mais bien
de nous montrer que notre monde n'est pas basé sur une réalité
objective, mais sur un ensemble de scénarios construits dans des buts
différents. Et si ça nous semble si évident, c'est peut-être grâce ou
à cause de l'émergence du story-telling ubiquitaire : cette façon
qu'ont les sphères média et politiques de scénariser chaque élément
d'information pour construire une information émotionelle vide de sens
mais pleine de sentiments (à vomir !). Evident, donc, mais pas inutile
pour autant. Je vois dans ce roman une espèce de façon de démysthifier
ce réel construit autour de nous, et de le démysthifier avec beaucoup
de subtilité. En effet, dans ce roman, le héros va comprendre au bout
d'un moment qu'il n'est pas uniquement extérieur aux scénarios qu'il
construit (le galochat, ou les bochimans) mais également personnage de
ces scénarios, aussi bien lors de son premier entretien avec
Khoyoulfaz ou de sa visite en Afrique (je ne détaille pas plus pour ne
pas déflorer l'intrigue). Et je pense que l'auteur, en impliquant le
personnage principal, a voulu nous montrer comment nous aussi ne
pouvons rester extérieurs à cette construction du réel, tout en ayant
un devoir de critique vis-à-vis de cette réalité construite.
Du coup, évidement, même si je n'ai pas été totallement conquis par ce
roman (malgré son côté page-turner), je ne peux que vous le
recommander, ne serait-ce que pour comprendre que la réalité, même si
ça n'est pas ça, c'ets pourtant ça.
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Paperback, 588 pages
Published May 22nd 2008 by Editions Gallimard (first published
2007)
ISBN 2070355276 (ISBN13: 9782070355273)
edition language French
original title Les falsificateurs
Dans mes "étagères" (pour ceux qui ne conaissent pas Goodreads, c'est
leur version des tags)
art, complot, humanité, inclassable, politique, rayon-policier-noir,
voyage
Parfois, on lit des bouquins sans vraiment savoir pourquoi, mais tout
en étant convaincu d'y trouver une espèce de vérité, alors même que le
roman est par construction un mensonge.
Et cette histoire en est le plus parfait exemple.
Elle nous raconte comme Sliv, jeune islandais à la recherche de son
premier emploi, va refuser une offre dans une conserverie pour entrer
via l'une de ses facades dans le consortium de falsification du réel,
une société secrète dont le but est encore inconnu à cette heure, mais
dont le moyen d'action préféré est la manipulation du réel. Une
manipulation qui passe par la création de faux documents officiels, de
faux témoins, de faux écrits, bref, de faux divers. Et ils ne font pas
ça pour le plaisir. On va y trouver Laïka (la chienne de l'espace),
l'exploitation pétrolière, les débuts de la dérive capitalistique dans
laquelle nous sommes actuellement plongés, mais aussi des faux films,
de faux courants artistiques (ah, cet écrivain minimaliste). Bref, ce
roman raconte comment le réel est faussé. Et comment il est faussé par
Sliv et ses patrons.
Alors évidement, ça ne peut que plaire à tous les démiurges en
culottes courtes : les MJ de toutes les parties de jeux de rôles s'y
retrouvent, comme d'ailleurs les joueurs de #nomic (oui, là, je suis
bi-classé). Et c'est avec une excitation permanente que je voyais Sliv
tenter des falsifications aussi audacieuses que tordues (son oeuvre
sur la Stasi est incroyablement subtile). Qui plus est, l'auteur a
pris soin sur chacun des sujets évoqués de se documenter avec une
précision, une force, une profondeur assez incroyable. Il arrive donc
à évoquer dans le même roman les dérives capitalistes et des
continents, la zoologie et la condition des femmes, ou encore la
conquête spatiale et le communisme. C'est donc un grand jeu
intellectuel dans ce roman que de chercher ce qui est "vrai" et ce qui
est "faux". Bon, on sait bien, vous et moi, que c'est un jeu de
dupes : le réel n'existe pas, pas plus que la vérité. C'est d'ailleurs
ce qui rend ces manipulations aussi innocentes que superfétatoires :
ce qui a été vrai hier sera faux demain, et il n'est pas besoin d'une
société secrète pour en arriver à cette réalité fluctuante. Toutefois,
évidement, le CFR (nos falsificateurs, quoi), ajoute à cette réalité
fluctuante une dose d'art qui lui fait habituellement défaut, et qui
me poussera désormais à traquer le faux artistique dans les journaux
ou dans la wikipedia - qui doit être pour l'auteur un objet
fascinant.
Cependant, ce roman n'est pas exclu de défauts, au premier range
desquels la platitude des personnages, qui s'esquivent
systématiquement dès qu'un tant soi peu de relations humaines
s'instaurent ... Bon, je suis mauvais jouer, c'est évidement le cas
presque uniquement pour les deux personnages principaux, mais les
"seconds rôles", eux, ont droit au bonheur et à une vie affective
épanouie. En revnache, les héros, non, et ce stéréotype du "lonesone
cowboy" comme personnage principal me paraît à la fois douteux et peu
intéressant sur le plan littéraire.
Mais je ne crois pas qu'il s'agisse d'un défaut bien grave. Après
tout, le but de ce roman n'est pas d'être une autobiographie
imaginaire d'un falsificateur fictif (quoique .... peut-être que
l'auteur a juste utilisé un nom de plume et qu'il est Sliv), mais bien
de nous montrer que notre monde n'est pas basé sur une réalité
objective, mais sur un ensemble de scénarios construits dans des buts
différents. Et si ça nous semble si évident, c'est peut-être grâce ou
à cause de l'émergence du story-telling ubiquitaire : cette façon
qu'ont les sphères média et politiques de scénariser chaque élément
d'information pour construire une information émotionelle vide de sens
mais pleine de sentiments (à vomir !). Evident, donc, mais pas inutile
pour autant. Je vois dans ce roman une espèce de façon de démysthifier
ce réel construit autour de nous, et de le démysthifier avec beaucoup
de subtilité. En effet, dans ce roman, le héros va comprendre au bout
d'un moment qu'il n'est pas uniquement extérieur aux scénarios qu'il
construit (le galochat, ou les bochimans) mais également personnage de
ces scénarios, aussi bien lors de son premier entretien avec
Khoyoulfaz ou de sa visite en Afrique (je ne détaille pas plus pour ne
pas déflorer l'intrigue). Et je pense que l'auteur, en impliquant le
personnage principal, a voulu nous montrer comment nous aussi ne
pouvons rester extérieurs à cette construction du réel, tout en ayant
un devoir de critique vis-à-vis de cette réalité construite.
Du coup, évidement, même si je n'ai pas été totallement conquis par ce
roman (malgré son côté page-turner), je ne peux que vous le
recommander, ne serait-ce que pour comprendre que la réalité, même si
ça n'est pas ça, c'ets pourtant ça.